Entretien avec Claire Diterzi

Claire Diterzi, metteuse en scène et scénographe de Puisque c’est comme ça, je ferai un opéra toute seule, revient sur la conception de ce spectacle ainsi que sur son parcours musical.

Vous êtes née à Tours en 1970 dans une famille modeste. Vous êtes une artiste multiple car vous êtes à la fois compositrice, autrice et interprète. Vous avez commencé votre carrière musicale dès l’âge de 16 ans et vous l'avez poursuivi soit en solo, soit au sein d’un groupe. Qu’est-ce qui vous a amené au monde de la musique ?

Je dirais que c'est lié au hasard des rencontres. Cette envie est née au lycée à la fin des années 1980, en tant qu’autodidacte, avec des étudiants qui pratiquaient la musique. Nous avons eu l’envie de monter un groupe de rock à l’époque de l’adolescence.

On dit souvent de vous que vous êtes une « artiste inclassable ». Est-ce ainsi que vous vous définiriez ?

Le propre de l’artiste c’est d’être inclassable ! C’est aussi de refuser les cases, les étiquettes et les préjugés. L’audace c’est important, tout comme la prise de risque. Le problème c’est que l’on veut mettre des artistes dans des cases, ça rassure. C’est fatigant mais je suis une artiste qui a une trajectoire audacieuse, au gré des rencontres à travers la musique mais aussi via la mise en scène. Car c’est essentiel de l’évoquer, je fais moi-même la mise en scène de mes spectacles.
Je dirais surtout que je suis une artiste qui crée des œuvres composites. Je refuse l’étiquette de chanteuse assignée à écrire des chansons et à faire des disques. Je m’épanouis plus dans des propositions comme celle que propose l’Opéra de Reims, cette commande d’un spectacle pour enfant Puisque c’est comme ça, je vais faire un Opéra toute seule, qui a été l’occasion de multiples rencontres.

En 2015, vous avez créé la compagnie Je Garde Le Chien. Cela a-t-il été pour vous le moyen de préserver une indépendance et une autonomie dans cet univers musical ?

Absolument, ça m’a permis de rester en vie ! Je me suis enfuie d’un univers formaté et j’ai été fascinée par ces modes de production des gens de théâtre et de la danse. La compagnie c’est un mode économique et un format administratif qui m’a apporté beaucoup de liberté. J’ai mon équipe, j’avance à mon propre rythme et je n’ai pas d’objets à vendre. Je suis tenue de faire des spectacles vivants, c’est-à-dire des créations. Je suis « inclassable » dans ce sens-là et en même temps je suis une artiste qui dérange. Surtout quand on est une femme !
C’est un combat pour moi. Ma compagnie c’est un outil qui m’apporte des protéines, qui me donne des muscles, le goût de l’aventure, l’envie de tenir, d’aller plus loin aussi. J’aime l’idée de parcours. J’ai un parcours de prise de risques, de rencontres, je trace mon destin et j’enfonce des portes ! Je suis chanteuse mais ça ne me suffit pas. Pour résumer, la compagnie c’est du théâtre musical.

Venons-en à Puisque c’est comme ça, je vais faire un opéra toute seule, opéra jeune public que vous avez créé et dont vous avez confié le rôle de soliste à Anaïs de Faria pour interpréter Anja Karinskaya, cette adolescente de 13 ou 14 ans, à qui sa directrice lui interdit de devenir compositrice. Quelle a été la genèse du spectacle ?

Avant le Covid, je rêvais de faire un spectacle qui inventerait la suite d’Anna Karénine, le célèbre roman de Tolstoï. Je suis montée dans le Transsibérien en allant de Moscou à Vladivostok. J’ai passé dix jours dans ce train tout en relisant ce livre qui raconte l’histoire d’Anna Karénine, l’héroïne, qui a un amant dont elle a un enfant. Dans ce roman volumineux il y a seulement deux lignes concernant ce bébé, une fille appelée Anna mais que sa mère surnomme Annie. En raison du Covid, ce projet Annie Karénine a dû être reporté pour 2025. Mais entre-temps, le Centre dramatique de Sartrouville, pour son festival Odyssées en Yvelines, est venu vers moi, peu après le confinement en 2020, et m’a proposé d’écrire un spectacle avec un cahier des charges : une durée de 45 minutes, un interprète, un décor qui tient dans un transit, un seul régisseur en tournée. Je me suis dit, puisque je dois reporter ce projet russe, je vais chercher les contours de ce personnage, cette petite fille, en traitant les thèmes de la Russie, de la révolte et de l’émancipation féminine. De fil en aiguille, j’en suis arrivée à cette forme opératique qui allait bien avec l’idée du confinement.
C’est un spectacle qui parle de la solitude qu’implique l’écriture des créateurs. C’est également un hommage à ces créateurs russes muselés, encore plus depuis la guerre en Ukraine, et qui ne sont pas forcément tous des sbires à la botte de Poutine.
C’est enfin un plaisir, dans mes spectacles, d’écrire pour des voix lyriques. Je refuse d’être la chanteuse hyper-individualisée, constamment au-devant de la scène avec un micro. Je visualise mes spectacles, j’écris ma musique en imaginant l’investissement dans l’espace scénique et je suis très inspirée par des interprètes que j’auditionne et que je recrute, comme c’est le cas pour Anaïs de Faria qui est une diva fantastique !

La colère d’Anja, omniprésente dans cette œuvre, n’est-elle pas aussi un peu la vôtre ?

Absolument ! Ça sert à ça de faire des spectacles ! C’est pour balancer sa vision qu’on a du monde, sa vision qu’on a par rapport au monde, donc sa révolte au monde. C’est ça qui est vraiment excitant et qui fait que j’aurais vraiment du mal à vivre sans ce métier. C’est ce qui me rend heureuse, au travers de ces créations, d’avoir pu donner une vision de femme libre et inclassable !

Vous avez évoqué ce projet de spectacle d’Annie Karénine. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

J’aimerais enfoncer le clou de Puisque c’est comme ça... et revenir à ce livre Anna Karénine dont j’écris la suite. Le décor mental du futur spectacle sera toujours celui de la Russie. Je me mets en scène car je serai Anna Karénine, la mère qui meure au début du spectacle. J’aurai des chanteurs lyriques présents avec moi sur scène ainsi qu’une batteuse. Car ma marque de fabrique se caractérise par le mélange des esthétiques musicales, c’est-à-dire de mélanger la musique actuelle, la pop rock et l’électro avec l’art lyrique et l’art théâtral. Je passe de l’un à l’autre comme le fait Anja dans ce spectacle jeune public présenté à l’Opéra de Reims.