Don Quichotte : entretien avec Igor Bouin
Don Quichotte : entretien avec Igor Bouin
Le baryton Igor Bouin est à la fois directeur musical et interprète dans Don Quichotte : j’étoilerai le vent qui passe... mis en scène par Jeanne Desoubeaux et qui sera joué à l’Opéra de Reims le 15 mai prochain. Il répond à nos questions concernant sa carrière professionnelle et se confie sur ses impressions à propos de ce théâtre musical.
Comment avez-vous développé votre passion pour la musique ?
J’ai commencé la musique très tôt, dès l’âge de 5 ans, au moment où se forme l’éveil musical. Le premier souvenir que j’ai, c’est moi en train de taper dans mes mains : je me suis alors dit que la musique c’était très chouette ! (rires). A l’âge de 8 ans, je suis rentré au chœur Charles Brown du conservatoire de Boulogne-sur-Mer et en même temps dans une classe de trombone.
Puis, vers 17 ans, je suis allé faire mon lycée à Lille et je suis entré au Conservatoire de cette même ville. J’ai alors commencé le chant soliste mais comme je n’étais pas très bon en trombone, j’ai loupé mon prix et me je me suis dit qu’en chant c’était plutôt pas mal ! J’ai surtout eu un coup de foudre pour la scène autour d’un spectacle qui s’appelait Monsieur de la Palisse de Claude Terrasse, qui est une opérette du XIXe siècle, où on m’avait confié un rôle et du coup j’ai beaucoup rigolé, j’ai pris un vrai plaisir à me retrouver cette scène.
Après mes études à Lille et une licence en musicologie, je suis rentré à la Maitrise Notre-Dame-de-Paris dans un chœur d’adultes pendant trois ans. Ça peut paraitre étonnant car je suis issue d’une famille anticléricale et je ne suis même pas baptisé. C’est surtout que c’était la seule formation supérieure parisienne qui rémunérait ses étudiants à l’époque, quel que soit leurs revenus, en lien avec le service reçu qu’on donnait à la cathédrale lors d’offices et de concerts. C’est ainsi que j’ai pu venir m’installer et étudier à Paris dans cette école où j’ai rencontré des gens formidables, dont Jean-Christophe Lanièce qui joue dans Don Quichotte avec moi et que l’on va présenter à Reims.
Suite à ça, je suis tombé sous les mains de Yves Sotin, qui était professeur de chant à la dernière année de Maîtrise à Notre-Dame-de-Paris, puis je suis rentré au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où il a continué à être mon professeur.
D’où vous êtes sorti avec la mention Très Bien à l’unanimité ?
Oui alors ça, ça ne veut rien dire car c’est comme les malédictions : ceux qui font des grandes carrières ont des mentions Assez Bien et ceux qui ont Très Bien à l’unanimité, ils font des belles choses mais tranquilles (rires).
Pouvez-vous nous parler du spectacle musical Jeune public Don Quichotte, j’étoilerai le vent qui passe, inspiré d’un opéra de Massenet, qui sera joué chez nous les 14 mai (scolaires) et 15 mai prochain ?
L’opéra original, Don Quichotte de Jules Massenet, qui dure 1h40 pour 300 interprètes, a été un échec à sa création. Même si c'est un bel opéra, on trouvait qu'il n’était pas assez fidèle à l’esprit du roman de Cervantès. Ce qu’on a voulu faire, avec la metteure en scène Jeanne Desoubeaux, c’est recentrer l’histoire sur ce lien d’amitié entre Don Quichotte et Sancho.
C’est un spectacle où il n’y a quasiment que de la musique de Jules Massenet avec une petite incartade à la fin, avec la chanson La Quête mise en parole par Jacques Brel, qui est extraite de L’Homme de la Mancha. Et puis on fait participer le public lors de ce spectacle. On intègre une forme de petite médiation au début du spectacle, qui présente un peu les choses ; ce qui permet au jeune public de se préparer à ce qui va suivre. Ensuite nous avons besoin d’une personne du public pour jouer le rôle d’un bandit, d’où l’aspect spectacle participatif.
Ce spectacle musical s’adresse en priorité aux plus jeunes. Y-a-t-il des défis particuliers à captiver un jeune public tout en restant fidèle à l’œuvre originale ?
Oui bien sûr. Pour moi, le défi est tout aussi grand de captiver un jeune public qu’un public traditionnel. Avec Jeanne Desoubeaux et la compagnie Maurice et les autres, ce sont des questions que l’on se pose à chaque fois : Qu’est-ce que l’histoire raconte ? Comment ça va être perçu par le public ? Pour nous ce ne sont pas des choses tabous, on en discute entre nous, on le conscientise en amont pour faire en sorte que ce soit une réussite.
Dans le cadre de ce spectacle, il y a aussi la volonté que les plus jeunes aient un contact direct avec les interprètes puisqu’on essaye de faire en sorte de casser le “quatrième mur”, c’est-à-dire de s’adresser directement aux enfants, de les prendre à partie, de chanter près d’eux, et c’est ce qui est vraiment intéressant à faire avec le jeune public.
Cependant, il n’est pas question de rogner sur l’excellence. Les enfants vont véritablement entendre 45 minutes de musique de Massenet. C’est-à-dire qu’on ne cherche pas forcément à rendre les choses plus “cool” ou “accessibles” car, artistiquement, le contenu est là.
Qu’est-ce que les enfants, selon vous, vont retenir de cette expérience théâtrale ?
Alors déjà, il y a la mort de Don Quichotte sur scène, qui est belle et théâtrale. Et on a énormément de retours de jeunes qui nous disent qu’ils n’avaient jamais vu une mort sur scène, ce qui les a rendus triste. Et c'est vraiment intéressant parce que ça permet d’ouvrir sur le sujet de la mort, qui n’est pas facile à aborder à leur âge, d’autant plus qu’ils s’attachent beaucoup au personnage.
Je pense qu’ils retiennent aussi le fait qu’on chante sans micro, qu’on a des voix puissantes mais aussi la beauté du piano ou encore le côté drôle de cet art lyrique, qui peut parfois leur paraitre un peu vieillot, et qui devient quelque chose de très actuel dans la drôlerie ou dans les blagues qu’on peut y mettre.
Avez-vous quelques anecdotes amusantes, croustillantes, à nous raconter lors des répétitions ou lors des tournées que vous avez effectuées ?
Des anecdotes, il y en a plein. L'anecdote qui nous fait toujours autant rire, c'est cet enfant qui vient jouer le rôle du bandit. On lui apprend un texte qui est “Qui es-tu ?”, “Que veux-tu ?” et “Où vas-tu ?”. Et très souvent ça arrive qu'avec le stress les enfants mélangent les mots et qu'on se retrouve avec un “Qui vas-tu ?” ou un “Qui veux-tu ?”. Et ça nous fait beaucoup rire à chaque fois. Et en même temps, c'est très mignon et ça fait beaucoup rire l’enfant qui le fait.
Et puis aussi, une autre petite anecdote. On a créé ce spectacle il y a quelques temps déjà et j'ai une habitude : quand je crée une petite forme de spectacle, je le récite dans la cuisine de ma grand-mère, devant mes amis, parce que je me rends compte que, lorsqu’un spectacle est réussi dans la cuisine de ma grand-mère, souvent, il va être bien par la suite. C'est donc un bon test en quelque sorte. Donc, ce spectacle-là, il n’a pas vu le jour dans la cuisine de ma grand-mère, mais juste après qu'on l'ait donné sur la scène de l'Opéra-comique, on est allé le jouer dans la cuisine de ma grand-mère et c’était très sympa !
Personnellement, quels sont vos projets artistiques en cours ou à venir ?
Le mois de mai est particulièrement chargé. Le 2 mai j’ai donné mon spectacle Bingo, un loto musical avec mon trio vocal de Trio Musica Humana à l'Opéra de Nancy. Ensuite, j'ai préparé les chœurs et chanté pour un grand concert “Star Wars” qui a eu lieu au Grand Rex les 3 et 4 mai, ce qui était quand même assez rigolo. Après, il va y avoir Quichotte, donc à l'Opéra de Reims. Et ensuite on part au Théâtre de Caen pour le début de la tournée autour du spectacle Carmen, opéra-paysage itinérant de la compagnie Maurice et les autres, c’est-à-dire avec toute l'équipe de Don Quichotte qui y participe. Il y aura donc aussi Jean-Christophe Lanièce, Flore Merlin et à la mise en scène, Jeanne Desoubeaux.
Et après je crée le spectacle Les Deux Pêcheurs à l’Opéra de Compiègne les 21 et 22 mai prochains avec le baryton Romain Dayet, et de nouveau avec Flore Merlin au piano et Barbara Leliepvre au violoncelle. C'est un spectacle auquel je tiens beaucoup, qui est une adaptation très libre, sous la forme d’un théâtre musical, de l'opérette de Jacques Offenbach, Les Deux Pêcheurs, qui est un peu la continuité de cette recherche autour des “spectacles famille” qu'on a lancé avec ce Don Quichotte.
Avez-vous des conseils à donner pour les plus jeunes qui aspireraient à se lancer dans une carrière musicale ?
Déjà le plus important c’est de chanter, c’est de continuer à faire de l’instrument, de ne pas hésiter à faire de la musique d’ensemble. Parce que parfois, quand on ne prend que des cours individuels ou qu'on s'enferme dans sa pratique personnelle, c'est toujours un peu délicat.
J'invite vraiment les plus jeunes à créer des groupes très tôt, à former des groupes de musique de chants, des duos, des trios ou bien des chœurs. Et aussi, à essayer plein de styles de musique différents. Moi, je me souviens quand j'étais musicien, vers la fin, ce qui m'avait aidé à continuer à jouer du trombone, c'était de faire partie d'un groupe de musique klezmer. Je me suis beaucoup amusé à le faire. Et je me suis dit : mais pourquoi je n'ai pas découvert ça avant car ça donne un rapport à son instrument vraiment différent.
Et j'ajouterai : faire du théâtre aussi. Car même quand on est instrumentiste, le théâtre, ça ouvre plein de possibilités. Là je suis en lien avec l'Orchestre philarmonique de Radio France et il y a beaucoup de musiciens, même professionnels, qui veulent faire du théâtre. Et le théâtre musical commence vraiment à faire sa place dans la vie musicale française.