Autour d’A-Ronne, entretien avec Sébastien Roux

Entre électroacoustique et voix, Sébastien Roux repousse les frontières du son !

À l’occasion du Festival in situ, l’Opéra de Reims accueillera le 5 avril prochain A-Ronne, une œuvre marquante du compositeur italien Luciano Berio (1925-2003), compositeur de musique électro-acoustique. En partenariat avec Césaré, ce spectacle promet une expérience singulière où la voix se déploie comme un instrument à part entière, explorant les multiples facettes du langage et du son. Sébastien Roux nous explique le concept de cette performance auditive.

Entretien réalisé le 10.03.25

Qu’est-ce qui vous a conduit vers la composition musicale contemporaine ?

C’est à la fois simple et complexe. Depuis mon enfance, j’ai une passion pour la musique et une curiosité constante pour les sons. J’ai toujours aimé être surpris par de nouvelles sonorités, et en explorant la musique par moi-même, j’ai cherché à en découvrir encore plus.

Quelles ont été vos principales influences artistiques et musicales au début ?

J’ai commencé par le rock, notamment au lycée. Un groupe qui m’a particulièrement marqué est My Bloody Valentine, très influent dans les années 90, qui travaillait la matière sonore avec une approche innovante. Plus tard, en jouant dans des groupes de rock plus expérimentaux, j’ai développé un intérêt croissant pour le son lui-même, au-delà de la structure classique du rock. Cela m’a naturellement conduit vers la musique électroacoustique et concrète.
Dans les années 90, à Paris, j’ai eu la chance d’assister à des concerts du Groupe de Recherche Musicale (GRM) à la Maison de la Radio. J’ai été particulièrement marqué par les performances de Michel Chion et Lionel Marchetti, qui ont renforcé mon envie d’explorer ce domaine.

Vous explorez souvent la spatialisation du son. Quelle place occupe-t-elle dans votre travail ?

Elle est essentielle et a pris une importance croissante. Au début, dans mes compositions concrètes, la spatialisation intervenait après l’écriture, comme un élément additionnel. Aujourd’hui, elle peut être au centre de la composition.
Dans certains projets, notamment les installations sonores, le mouvement des auditeurs influence leur perception du son. L’espace sonore devient une composante active et non un simple cadre d’écoute. Plutôt qu’une immersion passive, j’encourage une écoute attentive aux transformations du son dans l’espace.

Quelle est l’importance des technologies et des outils numériques dans votre processus de composition ?

Cela dépend des projets. Pour les installations sonores, le numérique permet de simuler l’organisation du son dans l’espace avant de l’expérimenter in situ. Dans d’autres cas, comme avec A-Ronne, je compose de la musique algorithmique, où un programme gère l’organisation des sons, qui sont souvent de pure synthèse.

Comment le prologue électroacoustique prépare-t-il le public à l’écoute de A-Ronne ?

J’ai pensé ce prologue en contraste avec la pièce de Luciano Berio. A-Ronne est composée de fragments et de citations textuelles et musicales, alors que mon prologue évite toute référence explicite. Il repose sur un processus d’évolution sonore plus fluide et moins contrasté.

Comment avez-vous abordé la spatialisation du son dans une performance où les spectateurs déambulent avec un casque ?

L’écoute au casque dans un même espace collectif est une expérience rare. J’ai voulu jouer sur l’alternance entre l’intériorité du casque et l’espace partagé. J’ai conçu un crossfade spatial, où le son passe progressivement des enceintes à une diffusion directe dans le casque.
J’ai utilisé un micro binaural, qui capte l’espace sonore en trois dimensions. Ainsi, l’auditeur ressent d’abord un son ambiant, puis, au fil de la performance, l’écoute devient plus intime et introspective.

Quelles réactions attendez-vous du public ?

J’espère une écoute attentive et curieuse. Pour le prologue, une posture plus statique est recommandée afin de mieux percevoir l’évolution sonore. En revanche, A-Ronne encourage davantage de mouvement et d’exploration.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Joris Lacoste et l’ensemble HYOID Voices ?

Joris et moi nous connaissons depuis plus de vingt ans et avons déjà collaboré sur plusieurs projets. À l’origine, ma pièce était conçue uniquement pour l’électronique, mais nous avons intégré les voix des chanteurs.
Pour la partie vocale, j’ai proposé une approche simple : chaque chanteur écoutait une piste audio dans son casque et devait la reproduire fidèlement, sans mémorisation préalable. Cette méthode contraste avec la rigueur de l’interprétation de A-Ronne.

Comment la partie vocale en direct interagit-elle avec la base électronique ?

J’ai travaillé avec Charles Basco pour concevoir une synthèse de la voix inspirée du programme Pink Trombone, qui modélise un conduit vocal virtuel. Nous avons programmé huit Pink Trombone, chacun correspondant à un chanteur.
Le son évolue progressivement, passant d’effets abstraits à une note chantée, sur laquelle les interprètes prennent le relais avant que le son ne retourne vers l’abstraction. Parallèlement, le crossfade spatial alterne entre diffusion dans l’espace et transmission directe dans les casques, accentuant l’effet d’immersion.

Pensez-vous que la musique contemporaine souffre d’un manque d’accessibilité ?

Oui, tout à fait ! En grande partie à cause du manque d’initiation. Plus on expose les jeunes à diverses formes de création, plus ils développent un intérêt naturel. Cela passe aussi par une réflexion des artistes sur le sens et l’impact de leur travail. Il est essentiel de continuer à questionner ce que la musique contemporaine propose et comment elle peut toucher un public plus large.

Comment voyez-vous l’évolution de la musique contemporaine dans un monde où l’intelligence artificielle prend de plus en plus de place ? L’intégrez-vous dans votre travail ?

Jusqu’à présent, je ne l’ai pas utilisée directement pour la création musicale, mais j’ai expérimenté son usage pour développer des outils. Pour un projet récent, j’avais besoin de coder une interface permettant d’interagir avec les spectateurs via leur téléphone en leur proposant des pistes d’écoute. Comme je ne suis pas informaticien, j’ai utilisé un assistant IA qui génère du code. Cela m’a permis de gagner un temps considérable et de créer un prototype fonctionnel rapidement.

Je pense que l’IA peut être un formidable outil d’exploration et de découverte. Elle peut suggérer des pistes auxquelles nous n’aurions pas pensé. Cependant, si elle est utilisée uniquement pour produire à la chaîne des œuvres standardisées ou dans une logique purement commerciale, elle perd de son intérêt. Comme toute technologie, tout dépend de l’usage qu’on en fait.

Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?

Je suis actuellement en thèse à l’IRCAM, dans l’équipe Analyse des Pratiques Musicales. Mon travail s’inscrit dans la recherche-création, où la pratique artistique est un élément central de la réflexion. Je développe une nouvelle œuvre intitulée Les disparitions ambiantes et acousmatiques, qui repose uniquement sur des enregistrements de paysages sonores. Elle interroge la disparition progressive des sons dans notre environnement. La pièce sera présentée en avril au festival Archipel à Genève.

Je travaille aussi sur un projet pour l’année prochaine, avec l’ensemble Hiatus, soutenu par l’IRCAM. L’objectif est de créer une partition interactive où l’attention auditive du public influence la musique. Pendant le concert, nous interrogerons les spectateurs sur leur perception des sons, et leurs réponses modifieront en temps réel l’évolution musicale.

Propos recueillis par Hugo Chaillou

A-RONNE
Musique Luciano Berio, Sébastien Roux
Mise en scène Joris Lacoste
HYOID voices & Claire Croizé
sam. 5 AVR. 17h
tarif unique 10 €
gratuit pour les étudiants et les -18 ans